Paru le 06/01/2021 | Broché 385 pages
Public motivé
Thierry LIMON DUPARCMEUR (LIBRAIRIE SAINTE-HORTENSE)
De nombreux penseurs des XIXe et XXe siècles prédisaient, assez logiquement, que l’évolution rapide des technologies émergentes permettraient aux individus de libérer un temps libre propice aux loisirs et à la réflexion. Mais aussi que ces nouvelles technologies, favorisant une diffusion plus libre et plus rapide de l’information, seraient des outils de nature à accroître nos connaissances et notre liberté.
En réalité, Gérald Bronner nous démontre avec brio, dans les presque 400 pages de cet essai très facile à lire, et pourtant d’une densité et d’une pertinence remarquables, qu’il n’en est rien.
Que le déferlement d’informations dérégulées qui nous submerge, notamment depuis les années 2000, occupe l’essentiel des capacités de notre cerveau, qui peine à hiérarchiser ces données, à les trier, à distinguer le vrai du faux, l’important du futile.
Pourtant, nous précise l’auteur, l’ « apocalypse » du titre n’est pas à prendre au sens de « fin du monde » qu’on lui attribue couramment, mais au sens étymologique de « révélation », de dévoilement d’une vérité cachée (en grec : apocalypsis).
Ce livre, qualifié par certains de pessimiste, ne l’est donc pas réellement. Inquiétant, sans doute. Réaliste, sûrement. En tous les cas, dans ce monde virtuel qui nous entoure et nous déstabilise, il contribuera, à n’en pas douter, à « défragmenter » utilement notre cerveau, pour un retour salutaire à davantage de rationalisme.
Apocalypse cognitive
La situation est inédite. Jamais, dans l'histoire de l'humanité, nous n'avons disposé d'autant d'informations et jamais nous n'avons eu autant de temps libre pour y puiser loisir et connaissance du monde. Nos prédécesseurs en avaient rêvé : la science et la technologie libéreraient l'humanité. Mais ce rêve risque désormais de tourner au cauchemar. Le déferlement d'informations a entraîné une concurrence généralisée de toutes les idées, une dérégulation du « marché cognitif » qui a une fâcheuse conséquence : capter, souvent pour le pire, le précieux trésor de notre attention. Nos esprits subissent l'envoûtement des écrans et s'abandonnent aux mille visages de la déraison. Victime d'un pillage en règle, notre esprit est au coeur d'un enjeu dont dépend notre avenir. Ce contexte inquiétant dévoile certaines des aspirations profondes de l'humanité. L'heure de la confrontation avec notre propre nature aurait-elle sonné ? De la façon dont nous réagirons dépendront les possibilités d'échapper à ce qu'il faut bien appeler une menace civilisationnelle.
C'est le récit de cet enjeu historique que propose le nouveau livre événement de Gérald Bronner.
Gérald Bronner est professeur de sociologie à l'Université de Paris, membre de l'Académie des technologies et de l'Académie nationale de médecine. Il a publié plusieurs ouvrages, dont La Démocratie des crédules (Puf, 2013), couronnés par de nombreux prix. Son dernier ouvrage paru est Cabinet de curiosités sociales (Puf, « Quadrige », 2020).